Robert Ireland
La Fondation qui, depuis 1986, poursuit la mission de soutien aux artistes de Suisse Romande que lui a confié sa créatrice a choisi, parmi la cinquantaine de dossiers qui lui sont parvenus, d’attribuer trois prix de 15’000.—francs. Les trois lauréats distingués sont Gabriela Löffel, Christopher Füllemann et Gilles Furtwängler.
Gabriela Löffel
Comment se constitue l’Histoire, sinon à travers l’agencement de dispositifs, de préparations, de décors-simulations, de répétitions, de filages, de montages…
Ce que le travail vidéo et installatif de Gabriela Löffel (*1972) met en scène est ce moment captif —presque clandestin— du processus de préparation à l’ombre de coulisses. Le topos choisi par l’artiste est souvent la salle de théâtre vide, le lieu du décor — studio de cinéma de doublage ou de postsynchronisation (bruitage), en bref, tout ce qui permet de « construire » la réalité et l’Histoire d’une manière convainquante, côté endroit. Mais ce que Löffel révèle est justement le revers, la dimension du simulacre, le décollement dialectique entre une image et le dispositif nécessaire à sa crédibilité et à sa recevabilité. Ce monde-là montre un aspect bien plus fragile, humain, trop humain. Gabriela Löffel opère un décalage entre original, double (ou doublure par le doublage en studio par exemple) parfois à travers un montage qui dissimule l’origine d’une activité ou encore un cadrage qui escamote le sens de l’activité…
Ce lieu de la fabrication du réel reste cependant sans audience, avec ses figurants faillibles, s’activant dans des salles de théâtre vides ou pris dans des surfaces noires, blanches, cruelles comme des laboratoires, sans fond, sans ouverture.
Si, à travers la ténacité de son travail, Gabriela Löffel construit une critique de la société du spectacle —on ne peut plus d’actualité— elle laisse au spectacteur la responsabilité d’en assembler les données et d’en percevoir les double-langages.